Le cadre conceptuel du Syscohada révisé a retenu comme hypothèse sous-jacente à la préparation des états financiers, la continuité d’exploitation.
Cette notion voudrait que les Etats financiers soient établis en présumant que l’entité poursuivra ses activités dans un avenir prévisible, à moins que des événements ou des décisions survenus avant la date de publication des comptes rendent probable dans un avenir proche la liquidation ou la cessation d’activité.
Lorsque les états financiers ne sont pas établis sur cette base (non continuité d’exploitation : liquidation de l’entité par exemple), les incertitudes quant à la continuité d’exploitation sont indiquées et justifiées, et la base sur laquelle ils ont été arrêtés est précisée.
Rappelons que ces principes sont les mêmes que ceux retenus par les normes IFRS.
COVID-19 : Une crise qui crée panique et incertitudes
La panique est palpable dans le monde entier non seulement à cause des effets sanitaires de cette crise mais également ses effets catastrophiques attendus sur l’économie. Déjà, l’on peut constater les mises en chômage partiel en France, des dizaines de milliers de licenciés aux Etats unis, les pertes estimées à 350 millions de dollars du manque à gagner hebdomadaire des transporteurs maritimes à l’échelle mondiale du fait de cette pandémie. Les valeurs en bourse sont en chute libre (en Europe et aux Etats-Unis, les indices perdent plus de 12% dans la dernière semaine de février- du jamais vu depuis la crise de 2008-2009). Les secteurs tels que l’hôtellerie, la restauration et le tourisme sont les premiers perdants. On s’attend à beaucoup de faillite dans ces secteurs si la crise se prolonge. On ne peut oublier les géants du transport aérien avec Air France KLM qui est en énormes difficultés et j’en passe.
Dans un contexte apocalyptique pareil, il va de soi que le monde traverse une zone d’incertitude des plus élevées. Comme le dit le Ministre de l’Economie et des Finances français, M. Bruno Le Maire, il est difficile d’établir des prévisions « dans des circonstances économiques aussi instables ».
La continuité d’exploitation remise en cause ?
Dans un contexte de crise sanitaire et économique avec ses répercussions telles que décrites dans le paragraphe précédent, tout chef d’entreprise avisé ne peut pas ne pas se poser la question du maintien ou non de l’hypothèse de continuité d’exploitation.
Une petite mise au point
Il faut commencer par préciser que même si les normes ne donnent pas la durée de projection de la continuité d’exploitation, il est retenu qu’elle est de 12 mois. Ainsi donc, analyser sa continuité d’exploitation revient à se poser la question si l’entreprise pourra continuer de fonctionner pendant les 12 prochains mois.
Quand faut-il faire cette analyse ?
Cette analyse se fait au moment ou l’on prépare les Etats financiers, ce qui veut dire en N+1 avant la publication des Etats financiers. Autrement dit, elle ne se limite pas à la revue des évènements subséquents tel que prévu par la norme IAS 10 et reprise par le Syscohada.
Pendant que l’analyse des évènements subséquents se limite à la date l’arrêté des comptes, celle portant sur la continuité d’exploitation va au-delà, jusqu’à la publication des comptes. Cela inclut donc également la période entre la date d’arrêté des comptes et celle de l’Assemblée générale (AG).
Ainsi donc le fait que les comptes soient déjà arrêtés n’empêchent pas selon nous leur remise en cause si entre temps, un évènement significatif venait compromettre la continuité d’exploitation avant la tenue de l’AG.
Application concrète à la pandémie en cours
La pandémie a éclaté en janvier 2020 et continue de sévir. Personne ne peut prévoir ni projeter ses effets financiers avec certitude mais une chose est sûre, c’est que les difficultés sont déjà palpables dans les entreprises. Certaines mesures ont été prises par les Etats pour accompagner les entreprises mais nous savons tous que comme lors de la crise de 2008, l’Etat ne réussira pas à sauver toute la barque.
Dans ce contexte, vous devez évaluer, la capacité de votre entité à survivre et à continuer son exploitation. Les questions suivantes entre autres peuvent s’avérer pertinentes :
- Êtes-vous financièrement solide ?
- Vos actifs sont-ils de haute qualité ?
- Votre entreprise pourra-t-elle survivre au cours des 12 prochains mois environ ?
- Serez-vous en mesure de trouver d’autres sources de financement pour votre entreprise ?
- Après la crise, votre marché principal est-il susceptible d’être affecté par de nouvelles lois et réglementations prise à cause de la pandémie ?
- Les mesures d’accompagnement prises par le gouvernement ou la banque centrale garantissent-elles une reprise de votre activité ?
- Avez-vous l’appui indéfectible de votre maison mère (si cette dernière a une bonne assise financière) ?
- Etc.
Après avoir effectué cette évaluation, vous avez deux choix :
- Vous estimez que la continuité d’exploitation de votre entreprise n’est pas compromise
En d’autres termes, la direction estime que l’entité survivra à la pandémie.
Dans ce cas, vous devez au moins indiquer dans les notes aux états financiers que, bien que les états financiers aient été préparés selon l’hypothèse de la continuité de l’exploitation, de nombreuses incertitudes entourent l’évaluation. Cette information devra également être portée dans le rapport de gestion. Mieux encore, vous pourriez faire un plan actualisé de vos cashflows attendus sur les 12 prochains mois et présenter aux utilisateurs des Etats financiers les scénarios du pire et du meilleur.
Ce serait également intéressant de démontrer comment le plan de continuité d’activité de l’entreprise (plan indiquant les moyens de prévention des risques ainsi que les ressources nécessaires à la continuité de l’activité de l’entreprise en cas de sinistre/crise), s’il en existe un, permet déjà de se maintenir et de passer toute la période de la crise sans faire faillite ou être totalement bloqué. Cela ne fera que donner plus confiance aux tiers.
- Vous estimez que la continuité d’exploitation de votre entreprise est compromise.
En d’autres termes, la direction ne croit pas que l’entité survivra à la crise dans les 12 mois.
Dans ce cas, les états financiers doivent être préparés de manière différente (Evaluation des actifs et passifs de la société à leur valeur liquidative).
Application des règles relatives aux évènements subséquents dans le contexte de la crise :
Ce point sera abordé en détail dans un prochain article. Mais déjà, notez que la différence clé entre la revue des événements subséquents de manière générale et l’analyse spécifique de la continuité d’exploitation est qu’on va toucher dans le premier cas, les comptes clés (évaluation des actifs financiers, dépréciation d’actifs corporels et incorporels, valorisation des stocks, etc.) et non les Etats financiers pris dans leur ensemble comme c’est le cas dans l’analyse de la continuité d’exploitation.
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