Dans le cadre de la création ou restructuration d’une société, les associés ou actionnaires de cette dernière sont appelés à faire des apports soit en nature, soit en numéraires, soit en industrie, selon le type de société (Société de personnes ou société de capitaux).
Dans cet article, nous allons nous intéresser aux apports en nature. Plus précisément, l’apport du droit de jouissance d’un bien immobilier. De quoi s’agit-il concrètement et quel traitement comptable approprié ?
- La notion de droit de jouissance en droit OHADA
Il convient de rappeler qu’un bien apporté en nature a généralement deux composantes : La propriété et la jouissance. La loi fait généralement recours à trois notions pour expliquer ces deux grandes composantes :
- L’usus qui est le droit d’utiliser le bien et d’en restreindre l’accès à d’autre,
- Le fructus qui est le droit de tirer profit ou jouir des fruits (revenus) générés par le bien, et
- L’abusus qui est le droit de disposer du bien par consommation, destruction ou aliénation.
Vous l’aurez compris, le droit de jouissance revient à combiner l’usus et le fructus, obtenant donc l’usufruit.
Ainsi donc, un actionnaire disposant d’un terrain nu peut décider d’apporter à la société en création ou en restructuration, soit la nue-propriété de ce terrain (Abusus) ou juste sa jouissance (Usufruit).
L’article 45 de l’AUSCGIE stipule : « Les apports en nature sont réalisés par le transfert des droits réels ou personnels correspondant aux biens apportés et par la mise à la disposition effective de la société des biens sur lesquels portent ces droits. »
Ceci voudra dire que le droit de jouissance d’un terrain suppose la mise à disposition du terrain pendant toute la période contractuelle. Dans notre cas, durant la vie de la société, sauf en cas de dissolution anticipée.
Il est également utile d’attirer notre attention sur l’article 47 de l’AUSCGIE qui précise que « Lorsque l’apport est en jouissance, l’apporteur est garant envers la société comme un bailleur envers son preneur. » Cet apport s’apparente donc à un contrat de location simple comme on le verra plus bas dans cet article.
Cela étant compris, il reste à savoir ce qu’un tel apport implique en termes de comptabilisation. Mais juste avant cela, parlons de l’évaluation du droit de jouissance.
2. Evaluation du droit de jouissance
Le droit de jouissance étant un apport en nature, il doit faire l’objet d’une évaluation à dire d’Expert afin d’en déterminer la valeur. L’article 400 de l’AUSCGIE précise que les apports en nature et/ou les avantages particuliers doivent être évalués par un commissaire aux apports.
3. Comptabilisation du droit de jouissance
L’article 36 de l’AUDCIF précise que le coût historique des biens inscrits à l’actif du bilan est constitué par la valeur d’apport pour ceux apportés par les actionnaires.
Ainsi, un apport en nature sera généralement porté à l’actif du bilan de la société bénéficiaire en contrepartie d’une augmentation de la valeur du capital. Ce qui est sans ambiguïté.
La vraie question est : quel type d’actif ? La réponse semble évidente dès lors qu’il s’agit d’un bien immobilier. Mais celle qui semble moins évidente est celle -ci : Quel type d’immobilisation ?
Reprenant l’exemple du terrain, le Syscohada révisé aborde la question en précisant le fait que l’usufruit confère un droit d’usage sur le bien donné en usufruit. Si l’usufruit fait l’objet d’un décaissement, l’opération est enregistrée soit au compte « 2188 Divers droits et valeurs incorporelles », soit dans le compte de loyer payé d’avance (compte « 476 Charges constatées d’avance »). En effet, l’usufruit confère à l’usufruitier le droit d’utilisation du bien sur une certaine période et peut être considéré en substance comme un contrat de location simple (pris du côté du bailleur) dès lors qu’il n’est pas prévu un transfert de propriété du terrain à l’issue de la durée du contrat. Ceci est cohérent avec la définition donnée par l’article 47 de l’AUSCGIE (voir supra).
L’immobilisation incorporelle comptabilisée est amortie sur la durée du contrat. La charge constatée d’avance est reprise sur la durée de la location par le compte 622 loyers et charges locatives. Par contre, le nu-propriétaire inscrit le terrain en immobilisation corporelle pour sa valeur d’acquisition.
De tout ce qui précède, on peut facilement déduire que l’apport du droit de jouissance d’un bien immobilier devrait donner lieu à une inscription en immobilisation incorporelle et non corporelle, l’option des charges constatées d’avance étant exclue. Par ailleurs, dans le cadre d’un apport en société, l’amortissement devra se faire sur une durée de 99 ans dans la plupart des cas, la durée de l’apport étant calée sur celle de la vie de la société. Des tests de dépréciations doivent également être pratiquées au fil des ans.
4. Traitement IFRS
Les IFRS n’abordent pas spécifiquement la question. Toutefois, vue sous l’angle d’une location, on pourrait se référer à IFRS 16 où la question du traitement du droit d’utilisation de l’actif loué reste un sujet non tranché quant à la classification Immobilisation corporelle/Incorporelle. Il est admis toutefois par certains que le droit d’utilisation ait la même nature que l’actif sous-jacent, ce qui est tout à fait discutable mais pas moins vraie, sachant que finalement, celui qui a le droit de jouissance a en réalité l’actif sous-jacent à sa disposition pendant la période d’utilisation. Se limitant toutefois à l’esprit de la norme, on penserait plus à un nouveau type d’actif qui ne peut se classer spécifiquement sous l’une des deux catégories. Ce qui nous ramène au cadre conceptuel. Se référant au cadre conceptuel, notamment à la définition d’un actif et aux normes IAS 16 et IAS 38 qui définissent respectivement les actifs corporels et incorporels, on pourrait facilement rejoindre l’option prise par le Syscohada révisé.
Le débat reste toutefois ouvert. Dites-nous ce que vous pensez de cet actif autonome que la norme a instauré. Comment le qualifierez-vous ? Et appliqueriez-vous cette analogie au traitement à retenir dans le cadre des apports en société?
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